La fenêtre

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Huile sur toile 80 x 80 cm

Nancy venait de quitter quelques semaines plus tôt la maison pour poursuivre ses études supérieures à Angers.
Je pensais à elle souvent. Elle était la première à partir.
Hugues revenait encore le week-end. Bruno était au collège.
L'arrière saison était très belle. J'avais déjà, pourtant, la nostalgie des jours d'été passés ensemble,
des repas pris sur la terrasse, des vacances sans contraintes d'horaires, sans obligations.

Tout le monde était à son travail. Je me retrouvais, errant dans les pièces devenues silencieuses,
décidée à remettre de l'ordre : tri des vêtements, gros ménage, carreaux...
J'entrai dans la chambre de Nancy. J'ouvrai grand la fenêtre. Le soleil inondait les surfaces.
Je laissai l'aspirateur devant la porte et commençai à passer un chiffon sur le bureau,
remis dans les pots les stylos et crayons éparpillés, rangeai quelques livres
que Nancy n'avait pu emporter faute de place dans ses deux gros sacs de voyage. 

Je l'avais accompagnée en train jusqu'à Angers pour l'aider à s'installer dans une petite chambre
réservée sur internet, in extremis, trois jours avant la rentrée et qui faisait partie d'un foyer géré par des religieuses.
C'était un grand changement de vie pour ma fille. Elle avait du s'organiser très rapidement
pour réfléchir aux affaires à prendre, au transport quotidien du foyer à l'école d'agriculture,
aux repas à confectionner soi-même le week-end, aux petits achats à faire pour compléter l'équipement très sommaire de la location.

Je songeais à tout cela... Elle n'avait que dix-sept ans... J'espérais qu'elle se débrouillait bien.
Il lui manquait beaucoup de choses à Angers et j'étais là... à regarder :
les photos de ses copains montpelliérains sur le pêle-même accroché au mur,
le mini-meuble à tiroirs sur la table de nuit, dans lequel elle rangeait colliers fantaisie et bracelets,
les classeurs de cours des années précédentes sagement alignés,
toutes choses qu'elle avait laissées sur place et abandonnées au moins provisoirement.
Il restait un foulard de soie sur le dossier de la chaise. 

J'ouvrai les placards. Il restait plein de vêtements : deux piles de T-shirts, des paniers remplis de lingerie et de socquettes aux couleurs de sorbets,
des robes d'été légères suspendues comme des papillons arrêtés en plein vol, des pulls de coton,
des vieilles tennis, des sandales fatiguées et des tongs ... Elle ne porterait pas tout cela de sitôt...
L'émotion me gagnait tout à coup... Ma fille était partout mais elle n'était plus là...

Il ne fallait pas que je me laisse aller à cet excès de sentimentalité ... un peu ridicule.
Ras le bol des rangements...  et du chiffon à poussière...
Prise d'une inspiration subite, j'allai chercher chevalet, tubes et pinceaux au rez de chaussée.
Je tirai le bureau de Nancy devant la fenêtre, pour le mettre en pleine lumière.
J'y posai un bouquet de pensées jaunes dans un cache pot en émail bleu outremer, que Mireille, une amie venait de m'offrir.
J'ouvris un catalogue de peintures de Nicolas de Staël, pour rêver à ses assemblages de couleurs merveilleuses
et à la sobriété et la pureté de ses compositions. 
Je poussai un peu à droite un tas de "ELLE": des revues que Nancy avait feuilletées avant de partir... 
Le décor était en place. Il n'y avait plus qu'à peindre...  

Je m'installai en face de la fenêtre et repoussai  l'un des battants.
Je voulais une ambiance très lumineuse, sans ombres. Je brossai à grands traits le bureau, le livre d'art ouvert au milieu,
une couverture de magazine, les fleurs, une paire de lunettes de soleil oubliée, les porte-crayons, un classeur vermillon.
 Je fis la lampe d'architecte d'un beau vert "gazon"comme la chaise square devant.
ils s'harmonisaient avec la cime des petits chênes verts que l'on apercevait par la fenêtre.

Dedans, dehors...Les couleurs vives gommaient les limites...
Je souhaitais garder l'été dans la maison, la fraicheur des tons acidulés de la chambre, la féminité des lieux.
J'ajoutai des rayures de transat bleues et blanches aux rideaux.
 Un simple lavis donnerait l'illusion des reflets sur les vitres du battant ouvert de la fenêtre.

Les enfants partent, quittent le nid, parfois reviennent...
Il reste des objets, une atmosphère, la permanence des sentiments...
Aujourd'hui, je goûte toujours la sérénité et la douceur qui émanent de ce tableau... 

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