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Iris brique, huile sur toile 72 x 91 cm

 

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Iris pourpres
, huile sur toile 50 x 50 cm

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Iris violets, huile sur toile 72 x 91 cm

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Le temps des iris

 
Il fallait trouver un moyen de retenir la terre qui avait été déposée côté nord entre la maison et la rue en contrebas, au moment des fondations.
Il en dégringolait le long de la pente à chaque grosse pluie. Je consultai des livres de jardinage pour me familiariser avec les plantes du sud de la France,
celles qui résisteraient à la sécheresse des mois d'été et nécessiteraient peu d'entretien.
Nous allâmes aussi plusieurs fois chez Filippi : un pépiniériste passionné, féru d'écologie de longue date
et spécialisé dans la vente de plantes n'exigeant aucun arrosage après la période d'installation.
Nous plantâmes consciencieusement, Bernard et moi, le long du mur d'enceinte: lauriers-tins, ceanothes, piracantas et éléagnus
et gardâmes quelques cistes naturels bien placés pour avoir à chaque moment de l'année, en alternance, toujours quelques arbustes en fleurs.
On n'avait  pas eu le temps encore d'aménager le talus d'où émergeaient seulement quelques romarins rabougris. 

Un dimanche de printemps, par un beau soleil, nous répondîmes à l'invitation d'un ami agronome de Bernard, qu'il n'avait pas vu depuis quinze ans.
Ils avaient fait leur service militaire ensemble, dans le cadre de la coopération, au Congo.
Les deux compères évoquèrent durant le déjeuner, moult souvenirs de leur vie de nomades en brousse.
Inventaires forestiers, campements sous la tente, alimentation à base de conserves et de viande de gibier avaient nourri leur quotidien pendant dix-huit mois.
Ils n'avaient pas été du genre à se plaindre...
Puis, notre hôte nous fit visiter son domaine.
Nous sachant encore novices en la matière, le biterrois, amoureux de sa région de surcroît, était intarrissable pour nous prodiguer des conseils de jardinage
et il avait préparé à notre intention deux grands seaux remplis de rhizomes d'iris qu'il avait déterrés et qui étaient prêts à planter.

On avait tant à faire durant cette première année d'aménagement que, honte à moi, j'oubliais les précieuses racines dans un coin de la cave.
Dans l'idéal d'ailleurs, d'après ma "bible de jardinage", on devait attendre au moins fin août pour s'en occuper...
Au mois de septembre, je me décidai enfin à les enterrer à demi, groupées par trois, comme je l'avais lu dans les manuels,
en les répartissant à peu près régulièrement sur le talus, et puis je n'y pensai plus...
Au printemps suivant, quelques feuilles bien vertes et droites émergèrent du sol.
Je crois me souvenir qu'il n'y eût pas beaucoup de fleurs la première année  mais j'étais bien contente tout de même de mes plantations de néophyte...

Le hasard voulût peu après, que nous allâmes dans les Cévennes passer une journée chez un oncle et une tante.
Citadins d'origine et plutôt intellectuels, ceux-ci  s'étaient installés dans la région, dans un petit hameau isolé, dans les années soixante-dix,
dans la mouvance du courant hippie, du retour à la nature et des premières communautés.
Les deux époux avaient travaillé dur pour retaper et aménager une vieille maison au très beau toit de lauzes.
Chantal et Bruno avaient restauré tous les murets de pierres des terrasses en escaliers de leur grand jardin : un travail de titan ...
Et pour le plaisir des yeux, ils avaient planté peu à peu des centaines d'iris.
Chantal se rendait à toutes les "portes ouvertes" organisées  sur ce thème dans les belles propriétés et chez les horticulteurs réputés.
Plus de trois cent espèces différentes s'épanouissaient maintenant chez eux :
des iris bleus, violets, pourpres, jaunes, roses, fuschia, des bicolores, des classiques, des rares, des petits, des moyens, des gigantesques.
Au mois de mai, c'était absolument splendide et féerique !
C'était des dégoulinades de fleurs depuis la maison qui surplombait le terrain en forte pente, jusqu'en bas,
à quelques mètres des grands bambous au dessus desquels on apercevait les montagnes d'en face et les chataigniers. 
On avait devant les yeux un dégradé de couleurs merveilleux de toutes parts : un vrai tableau impressionniste !

La maîtresse de maison organisait aussi chez elle des visites...
Certains  venaient de loin pour voir mais aussi pour échanger des rhizomes et des bulbes entre connaisseurs.
Chantal, très experte, s'activait aussi pour obtenir des espèces hybrides
et prenait en photo de façon systématique toutes les variétés qu'elle possédait, constituant au fil du temps un "book" superbe. 
Je m'extasiai à l'heure du café, du panorama, et n'osai lui demander quelques échantillons de sa suberbe collection.
Cependant, quelques semaines plus tard, s'en venant à leur tour chez nous et devançant mes désirs,
nos chers cévenols apportèrent dans un sac en plastique deux ou trois dizaines de rhizomes fraichement délogés... 
Mon jardin botanique personnel s'enrichissait d'un seul coup !  

Le talus au nord était déjà bien garni de beaux iris violets, comme ceux peints par Vincent Van Gogh,
ceux que l'on a coutume de voir le plus souvent car ils sont aussi les plus rustiques.
Je piochai au hasard dans le sachet et décidai d'implanter mes espèces plus rares au sud,
et particulièrement, le long d'une allée en graviers serpentant jusqu'aux chênes verts au bout du terrain. 
J'ignorai totalement où s'épanouiraient les iris outremer, les ocres foncés, ceux couleur d'or ou d'améthyste. Ce serait la surprise. 

Au fil des ans, de façon exponentielle, les iris se multiplièrent.
J'avais un faible pour les premiers qui fleurissaient mi-avril : bleus clairs et immenses, dépassant le mètre vingt,
ils formaient un plaisant massif juste en bas de l'escalier descendant de la terrasse vers la grande pelouse encore verte.
Quand le vent cassait ou pliait quelques tiges, il m'est arrivé plusieurs fois de les récupérer
pour les mettre dans un grand vase et de m'en inspirer pour peindre. 

Pour nous simplifier la vie mais aussi par souci écologique, nous n'arrosons aucune plante du jardin et les iris répondent bien à ces exigences spartiates...
Ils seraient parfois plus beaux avec un peu plus d'eau, mais ils résistent vaille que vaille...Leurs feuilles jaunissent au milieu de l'été.
Je me suis amusée à en dédoubler à mon tour pour en importer sous des cieux plus généreux en pluies..., en Bretagne. 
Ils ont prospéré là magnifiquement ! Giboulées et soleil de l'ouest conjugués ont fait des merveilles.
Quand j'assure le temps d'une petite journée, le transport au fond d'un pot, dans le coffre de la voiture, de quelques boutures ou racines,
 afin de seulement leur faire traverser la France en diagonale, j'ai toujours une pensée admirative pour tous ces marins et aventuriers au long cours,
botanistes émérites, qui nous ont rapporté du monde entier, à l'issue de périples bien plus compliqués :
des roses ou des hortensias de Chine, des agapanthes, des camélias, des cactus et autres broméliacées...

Avant d'être depuis le moyen-âge, le nom d'une fleur au parfum délicat,
Iris était dans la mythologie grecque, une déesse, fille de Tharmos, lui même fils de la terre.
Elle était la messagère des dieux et comme elle n'apportait que de bons présages, en récompense,
elle fût changée en arc-en-ciel, qui annonce, comme on sait le retour du beau temps. 
L'iris, symbole des bonnes nouvelles", je l'ignorais quand j'en ai planté des dizaines de rhizomes dans notre jardin méditerranéen et cette idée me plait bien.
 De loin je les imagine sous le soleil de mai, colorés et pimpants et 
quelque part en Amérique latine et lointaine, je contemple avec bonheur chaque matin, depuis la fenêtre de la cuisine,
des arums rouges, blancs et roses, faux philodendrons et autres aracées qui de forme leur ressemblent et me les rappellent un peu.

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